L’hôpital de l’avenir

Dr Daniel Désir

Dr Daniel Désir

Comme ses homologues au sein de l’Union Européenne, l’hôpital belge du futur est confronté à nombre de défis. Citons-en quelques spécificités.
De 450 établissements en 1945, au terme de la dernière guerre mondiale, la Belgique a connu une réduction drastique du nombre d’institutions de soins pendant la seconde moitié du XXe siècle : à l’issue de multiples fusions et remembrements, il n’en subsiste aujourd’hui qu’une petite centaine, dont sept hôpitaux académiques adossés aux sept facultés de médecine complètes du Royaume. La plupart des grands hôpitaux sont à présent des structures multi-sites, ce qui en complexifie l’exploitation et la gestion. La Belgique ne peut se comparer par l’étendue ni au Canada, ni à la Norvège, ni même à la France. C’est un pays densément peuplé, mais de taille très réduite. L’exiguïté du territoire, qu’un automobiliste peut traverser de part en part – hors embouteillages – en moins de trois heures, rend plausible la promotion par les autorités d’une nouvelle vague de reconfigurations : les besoins sanitaires pourraient sans doute être couverts dans le futur par une soixantaine d’établissements modernes, bien répartis géographiquement.
Ces réformes seront certes sources de tensions : l’hôpital est souvent le plus gros employeur dans les villes moyennes, ce qui, en cas de rationalisation, déclenche nombre de conflits avec la population et les élus locaux. Les coûts d’exploitation élevés exerceront toutefois une pression inéluctable sur des outils qu’il faudra continuer à remodeler pour en accroître l’efficience.
Une autre question taraude les belges : depuis 1970, la poussée des thèses nationalistes et le succès électoral des partis flamands qui les soutiennent avec ardeur ont progressivement induit l’évolution du pays vers une structure fédérale. La nouvelle Constitution assigne un rôle renforcé aux Régions. Elle façonne une mécanique institutionnelle particulièrement compliquée, notamment à cause du statut bilingue et multiculturel de Bruxelles, tout à la fois capitale de l’Union Européenne, de la Belgique, de la Flandre et de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La dernière des réformes, bientôt promulguée, éclate les compétences en matière de santé, et accessoirement de sécurité sociale. Le financement des soins hospitaliers restera – temporairement ? – une prérogative de l’Etat fédéral, mais le rôle des Régions se renforce pour programmer, encadrer et subventionner les infrastructures hospitalières, et pour gérer les politiques spécifiques ciblant les personnes âgées, dont le nombre croît rapidement au sein d’une population vieillissante. Cette répartition des rôles n’est pas figée : une frange significative de l’opinion flamande souhaite scinder complètement la sécurité sociale nationale, et mettre un terme à la monarchie constitutionnelle, fragilisée par l’intronisation récente d’un nouveau Roi peu populaire. Les ultranationalistes veulent même pousser au divorce complet entre Flandre et Wallonie, sur le mode convoité de la « partition de velours » qui a mis fin paisiblement à la Tchécoslovaquie en 1993.
Nous n’en sommes pas là : toutes les projections indiquent que la désunion du pays, bien plus intriqué depuis deux siècles que ne l’étaient la Tchéquie et la Slovaquie, déboucherait sur un chaos institutionnel et un désastre économique majestueux. Même dans cette contrée surréaliste, les citoyens-électeurs seront probablement assez avisés pour refuser d’octroyer un aval démocratique de masse à ce scénario calamiteux. Nos partenaires européens voient d’ailleurs émerger d’un œil sceptique, voire courroucé, cette fièvre régionaliste. Sa contagion pourrait aiguiser l’appétit indépendantiste – entre autres – des écossais, des corses, des basques, des catalans et des riverains de la vallée du Pô, et déstabiliser toute l’Union, qui a pourtant bien d’autres priorités à traiter.
Tous les pays fédéraux (Etats-Unis, Allemagne, Canada, Suisse) connaissent, selon un périmètre variable, une distribution des com- pétences sanitaires entre Etat central et entités fédérées. Le modèle belge, résultat de vieilles rancœurs et de discordes linguistiques et culturelles sans rapport direct avec les enjeux de santé, risque d’entraîner les hôpitaux belges dans une spirale de surcoûts administratifs et de tracasseries bureaucratiques supplémentaires dont ils se passeraient bien. Comme ailleurs, leurs enjeux consistent d’abord à former et à retenir à bord des professionnels hautement qualifiés, à œuvrer à une meilleure qualité des soins, à absorber avec créativité et ténacité les avancées technologiques, le virage ambulatoire et les besoins croissants des patients âgés en perte d’autonomie, à tracer des trajets de soins plus efficaces et à renforcer la mise en réseaux des hôpitaux spécialisés avec les acteurs et les structures de première ligne.
Dernière des préoccupations de l’heure : il n’est pas simple de préparer les dirigeants et les administrateurs des grands ensembles hospitaliers à ce tissu de défis. La formation à une meilleure gouvernance des établissements et des équipes et une réflexion sur les règles qui encadrent l’élaboration des plans stratégiques, le processus de prise de décision et la gestion opérationnelle devraient concourir à améliorer le professionnalisme et l’efficacité du secteur des soins de santé.
Dr Daniel DESIR
Directeur Médical CHU Brugmann, Bruxelles

Publié dans le Revue Octobre 2013. Avec ce permalien.