DU CRAYON À L’IMPRESSION 3D
Il y a quelques mois, j’ai vidé le grenier de mon père, lui aussi architecte. 50 ans après, j’ai retrouvé ses dessins et projets d’école dessinés au crayon ou au «tire-ligne » pour les connaisseurs. Il y a 25 ans, jeune architecte diplômé de l’Ecole Spéciale d’Architecture à Paris, nous avons créé avec quelques camarades le premier laboratoire informatique au sein d’une école d’architecture. Malgré les très nombreuses récriminations de nos professeurs nous expliquant qu’il n’était pas possible de concevoir avec un ordinateur, nous avons prôné l’utilisation des tous nouveaux logiciels de CAO/DAO (Conception, Dessin Assisté par Ordinateur). En plus des vues classiques, plans ou façades, les ordinateurs tournaient des journées entières pour créer des vues en perspectives qui permettaient enfin de voir sous différents angles les projets que nous avions conçus. Et aujourd’hui il y a le BIM : cette révolution… Du haut de mes cinquante ans passés, je ne vais surtout pas jouer au blasé, mais je parlerais plutôt d’une évolution que d’une révolution. Je la crois aussi bénéfique qu’il y a 25 ans, lors de l’apparition des premiers logiciels ou des premières tables traçantes où nous essayions de remplacer les pointes par des cutters pour découper automatiquement nos maquettes… aujourd’hui directement imprimées en 3D.
POURQUOI UNE ÉVOLUTION ?
Parce que maintenant, nous sommes à même de simuler notre projet avant de le réaliser. Comme un chirurgien se prépare à une greffe cardiaque en testant, répétant ses gestes à partir de simulations et d’images hyperréalistes, nous sommes maintenant capables de représenter, et tester le projet avant qu’il ne soit construit. En arrêtant là le parallèle avec la médecine, nous pouvons mesurer les progrès réalisés en quelques dizaines d’années et devons mettre à notre disposition tous les moyens et outils qui permettront de comprendre et réussir des projets de plus en plus complexes. Parce qu’aujourd’hui l’acte de construire doit accorder un très grand nombre d’intervenants, qu’ils soient architectes, bureaux d’études, bureau de contrôle, économiste, experts et bien sûr entreprises, il est primordial de rassembler la plus grande partie de ces données sur une seule base, bien nommée « base de données ». C’est tout l’enjeu de la maquette numérique qui associe à la représentation graphique toutes les caractéristiques des éléments qui la compose. En anglais la traduction littérale du BIM est « Building Information Model » ; en français c’est plutôt l’association de deux idées clés : « la maquette numérique de construction combinée à une base de données. Et pour s’entendre, s’écouter, se coordonner, il faut travailler sur les mêmes bases. Parce que chaque projet doit permettre de partager, de coordonner ou contrôler, il est nécessaire de mettre en place une méthode collaborative qui régit les échanges. Même si elle évolue de projets en projets, il n’est plus possible de tout rassembler dans une (ou quelques) tête(s) même très bien faites ! Que celui qui se vante de tout maitriser se lève… et vienne passer avec nous une journée sur un chantier de restructuration de bloc opératoire en site occupé.
MAIS ÇA N’EST PAS UNE RÉVOLUTION
Le BIM est un outil, un moyen de mieux exercer notre métier d’architecte. Il est le « facilitateur » mais pas « l’initiateur » de l’essence même de notre métier qui consiste à concevoir des espaces, bâtir des édifices en y incluant tous les aspects sociaux, environnementaux et urbains. Sans parler bien sûr de la dimension économique, du planning toujours serré et des (trop) nombreuses contraintes techniques… Le BIM n‘apporte pas la connaissance du milieu hospitalier, l’audace, la créativité, l’innovation dans la conception et la réalisation de nos bâtiments. Bien sûr l’environnement a grandement évolué, mais les fondements sont les mêmes, ils restent, et doivent rester humains. Le BIM va maintenant faire évoluer tous ceux qui ont un lien direct ou indirect avec l’acte de construire. Nos projets ne peuvent exister sans Maîtres d’Ouvrage responsables et entreprenants, à qui on demande aussi toujours plus, pour toujours … moins. S’il reste juste un outil de concepteur, nous passerons à coté de tout l’intérêt de cet outil. Le BIM doit être impérativement partagé et sa portée doit être étendue. La conception et la construction ne sont qu’une partie de la vie d’un bâtiment (environ 15% de son coût global), bien qu’elle soit déterminante dans son usage ; le BIM apporte les moyens de régir les cycles de vie du bâtiment pour les 15 ou 30 ans à venir. Il est un outil de simulation et de gestion extraordinaire. Nous n’imaginons pas encore toutes les incidences positives de cet outil, de cette démarche, qui va permettre rapidement (si on le souhaite) de raisonner sur le vrai « coût global » plutôt que sur le seul coût de construction… tout dépend de la volonté commune des différents acteurs précités. Au final, le résultat n’est-il pas comme la médecine, au bénéfice de tous ?