Les urgences sont depuis quelques années au coeur du débat sur notre système de santé parce qu’elles ont pendant longtemps servi de palliatif aux manques de celui-ci. Il n’est pas anodin d’ailleurs que le mouvement social qui touche les hôpitaux depuis plusieurs mois soit parti de ces services qui accueillent et prennent en charge non seulement les patients les plus graves mais finalement tous ceux qui n’ont pas trouvé ailleurs de solution à leur problème ou supposé problème de santé. Ils accueillent aussi tous ceux qui sont exclus du système se substituant parfois même aux structures d’accueil purement sociales.
Pourtant les urgences s’adaptent. Contrairement aux idées reçues, l’organisation change en permanence. Les personnels se forment, la spécialité à part entière ne datant que de quelques années. La recherche en médecine d’urgence devient importante en volume et en qualité. On discute désormais d’infirmières de pratiques avancées. On intègre directement les assistantes sociales à nos prises en charge. Là où il y a quelques années on séparait les flux selon les spécialités médicales, on les différencie en fonction de la gravité. Le tri est maintenant un acte à part entière. La polyvalence s’est installée dans nos services, nécessitant un rapprochement non seulement professionnel mais physique entre les SMUR et les urgences. La technologie s’invite aussi dans notre pratique, le matériel biomédical bien sûr mais aussi les logiciels métiers indispensables et demain l’intelligence artificielle. Et pour simplifier de nouvelles structures s’accolent ou se différencient des urgences, maisons médicales de garde, structures de soins non programmés à coté ou dans nos locaux, voire à leur place.
Toutefois nous avons du mal à garder nos personnels, des salaires trop bas évidemment mais aussi et surtout les horaires difficiles et les conditions de travail découragent les plus passionnés. Et les locaux ne sont pas neutres. J’ai l’habitude de dire que les urgentistes sont les médecins de la cave. Pour des raisons de proximité avec les plateaux techniques, d’accès sur l’extérieur, les urgences sont le plus souvent situées au rez-de-chaussée ou au sous-sol, dans un environnement ou la lumière du jour arrive avec difficulté. Nos locaux sont le plus fréquemment trop petits et ont été pensés pour des volumes bien en deçà de notre activité quotidienne. Ils se sont souvent étendus au fur et à mesure des années par des bricolages successifs, prenant peu à peu les espaces administratifs et de détente des personnels eux-mêmes toujours plus nombreux. L’exiguïté, le manque d’investissement et d’entretien font souvent que nous travaillons dans des locaux salis, dégradés, mal entretenus et de plus en plus inadaptés. Je suis souvent frappé lorsque je visite ne serait-ce que des immeubles de bureau, de la place faite à l’espace, la lumière mais souvent l’ingéniosité qui a été mise pour utiliser les espaces, sans parler des matériaux et de la décoration.
Réaliser un nouveau service d’urgence et de SMUR c’est être soumis à beaucoup de contraintes, financières évidemment, techniques, réglementaires, architecturales, d’intégration dans l’hôpital et surtout celles posées par des professionnels hospitaliers qui ne seront peut-être plus là quand on utilisera ces locaux qui pour les urgences s’avèreront souvent inadaptés dès leur ouverture. Mais le risque le plus grand est le manque d’ambition et d’imagination. Le risque est de se conformer aux demandes des hospitaliers sans apporter sa propre expertise. Non je n’ai pas besoin que le cabinet m’explique comment organiser mes flux. Je le sais mieux que lui et de toute façon cette organisation sera obsolète dans quelques années, remplacée par une autre. J’ai besoin que le cabinet m’aide à faire mieux vivre mes équipes, prendre en charge mes patients, trouver de l’espace pour des activités nouvelles, pour le travail hors du flux médical et paramédical, et surtout faire que la qualité de vie au travail ne soit pas qu’un slogan.
Dr Mathias Wargon
Chef de service Urgences adultes-SMUR
Centre Hospitalier de St Denis